Nan mais dire "les féministes s'attaquent à ça", c'est déjà nier la base même de ce qu'est le féminisme (un mouvement politique et social avec différents courants de pensée ; c'est comme parler de "la gauche" et prendre Manuel Valls en exemple, quoi : y'a pas plus opposé que le NPA et les positions de Valls, donc on peut pas résumer en disant "la gauche pense ça sur tel sujet"...) et surtout, c'est ignorer qu'il y a eu énormément de débats et de réflexions sur les questions liées à la sexualité et à sa représentation depuis la fin des années 90.
Ce qu'il faut savoir, déjà, c'est que le porno est une industrie. Et que comme beaucoup d'industries, elle a été largement mise à mal par l'avènement d'Internet et la création des "tubes" tels Youporn, Xtube, etc, qui diffusent du contenu pornographique gratuitement. Ça a complètement tué la création, la production : maintenant il faut produire beaucoup, rapidement, et le moins cher possible. Ce qui était à l'origine un milieu qu'on pouvait défendre par bien des aspects est simplement devenu une espèce de pompe à fric dominée par quelques grands groupes, qui jouent à l'évasion fiscale et qui sont quasiment intraçables. Ce qui fait qu'aller sur tous ces "tubes", au-delà de l'aspect moral que je ne prends absolument pas en compte dans ce paragraphe, c'est simplement participer d'une industrie qui aujourd'hui délocalise et emploie des gens dans la misère dans des pays où la main d'oeuvre est ultra bon marché. Si on ajoute à ça que le porno est en plus un media qui représente la sexualité, ça devient un truc vraiment dégueulasse avec des femmes (car ce sont essentiellement elles qui le subissent) se retrouvent exploitées pour vraiment pas grand-chose, sans possibilité de faire carrière (y'a plus de Clara Morgane ou de Katsuni aujourd'hui) et qui acceptent ce qu'elles n'auraient probablement pas accepté par le passé (on va pas se le cacher, y'a une énorme différence entre un tournage sur plusieurs jours, en costume, avec des pratiques "classiques" et un gonzo tourné en quelques heures et où le but, c'est que la nana se fasse remplir par le plus de sexes possibles et si possible, tous en même temps).
A ce sujet, l'excellent reportage d'Ovidie, qu'on ne peut pas taxer de moralisatrice puisqu'elle a longtemps été actrice et réalisatrice de films X :
Pornocratie.
Au-delà de cette question de l'industrie pornographique aujourd'hui, il faut bien prendre en compte que le porno, s'il est bien fait, reste une façon comme une autre de mettre en scène des fantasmes. On peut simplement regretter que comme dans beaucoup de domaines, ce soit le regard masculin qui ait complètement phagocyté la production : mise en scène où on s'intéresse plus au physique des femmes qu'à ceux des hommes, point de vue d'un homme pour le cadrage, fantasmagorie complètement masculine.
Fort heureusement, beaucoup de femmes ont aussi réussi à s'imposer dans ce domaine, pour reprendre un peu la main et dire qu'elles aussi, elles avaient une vision de la sexualité, une vision différente, et qu'elles avaient envie de la montrer. Je pense à Erika Lust, Emilie Jouvet, Ovidie évidemment, Candida Royalle qui a largement montré la voie...
Au-delà de la vision nouvelle, ce sont aussi des femmes qui ont décidé de porter un discours politique, sur la réappropriation par les femmes de leurs corps, sur le fait de rappeler qu'une femme peut aimer le porno (en consommer, en produire, y jouer), sur la nécessité de montrer des corps qui ne sont pas normés, de montrer des pratiques qui ne sont habituellement jamais mises en avant, etc. Ça s'est largement inscrit dans toute la dynamique "pro-sexe" des années 2000, où beaucoup de femmes féministes remettaient en avant la nécessité de ne pas tomber dans les condamnations morales et de pouvoir affirmer que le sexe n'était pas un truc sale et qu'une femme pouvait totalement s'épanouir en étant un objet sexuel — si c'était elle qui l'avait décidé. C'est un peu cette même tendance qu'on retrouve chez certaines artistes pop aujourd'hui, comme Beyoncé par exemple, qui s'affirme comme une féministe même si elle se met en scène comme une femme sexy, avec les codes qui vont avec.
Néanmoins, parler de féminisme pro-sexe aujourd'hui (à la Camille Paglia, encore une qui nous a largement ouvert la voie), c'est un peu dépassé. Disons qu'il y a plutôt une réflexion sur l'acceptance de toutes les façons de vivre son corps et sa sexualité, et que beaucoup de courants féministes commencent à prendre en compte aussi que cette injonction au sexe, à la vie sexuelle épanouie, peut être une barrière. On a eu besoin de faire tomber la barrière du "le sexe c'est mal et ça me souille", mais maintenant il faut sans doute rappeler que le sexe, au fond, n'est qu'une partie de la vie, et que certains vivent très bien sans (sans même pour autant être asexuels).
C'est le sens un peu de ce texte que je trouve archi pertinent et oui, c'est encore Ovidie :
http://www.brain-magazine.fr/article/pa ... st-il-mort