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Professeur de mathématiques en lycée quelque part dans le Sud, Tristan se raconte comme un type qui, de tous temps, "n'a jamais servi à rien". Au départ, il est un ado au visage bouffé par l'acné, celui que l'on choisit en dernier quand vient le temps de constituer les équipes de foot à la récré. "J'étais très seul, dit-il. C'est plus qu'une histoire de sexualité, j'avais du mal avec le monde." Un problème qui, pour Tristan, prend à coup sûr sa source dans la structure familiale. Il a grandi avec un frère handicapé mental et une famille recroquevillée sur elle-même: "On se méfiait de tout le monde, on vivait en cocon. Ça m'a poussé à me refermer sur moi-même." À 21 ans, il embrasse pour la première fois. C'est l'une des ses bonnes amies, lesbienne, qui prend l'initiative. A part ça, c'est le désert. Inscrit en école d'ingénieur, Tristan n'évolue qu'avec des garçons et passe son temps le nez plongé dans ses bouquins. Au sortir de son école, il s'enregistre sur des sites de rencontres. Toutes se solderont par des échecs. "Les personnes à qui j'ai eu affaire étaient soit mal dans leur peau, soit là pour prendre et jeter, comme dans un supermarché. Et puis, j'ai eu aussi droit à la fille vénale. Celle à qui je savais que je ne plaisais pas mais qui voulait que je l'invite en week-end dans un hôtel cannois." Chacun de ces échecs donne une raison de plus à Tristan pour broyer du noir. D'autant plus qu'autour de lui, tout le monde trouve petit à petit "chaussure à son pied". "Une copine s'est casée avec un type que je n'aimais pas. Je me disais: 'Même ce taré a le droit à sa part du gâteau? Et moi, je suis quoi? Eh bien je suis une crotte.'" Il marque une pause dans son récit. Serre la mâchoire. "Ah mince, il y a trop de choses qui arrivent dans ma tête là, je ne sais pas quoi dire." Très vite, il se reprend: "Vous savez, moi, je suis quelqu'un de sentimental. Je cherche la tendresse. Je suis incapable d'empoigner une femme. Et j'ai l'impression que les femmes recherchent plus ce genre d'hommes."
Un jour, il y a longtemps, Tristan a passé un contrat moral avec lui-même: jamais il ne ramassera quelqu'un sur le trottoir pour solutionner son affaire. "Mais au bout d'un moment, je ne tenais plus, il fallait que je sache", finit-il par confesser. Le voilà donc un soir, roulant dans les rues de Marseille. Il tourne pendant une heure et croise une blonde plantée en bordure de route. Elle embarque. "J'imaginais qu'on allait aller dans un hôtel, se souvient Tristan. On s'est retrouvés sur un parking. La fille m'a fait comprendre qu'il fallait que je sois efficace. Quand elle m'a dit ça, c'était fini. Je ne pouvais plus rien faire. Avant de se barrer, elle m'a dit: 'Trouve toi une copine.'" Tristan ne trouvera pas de copine, mais une escort. C'est la dernière solution qu'il lui reste, semble-t-il. Cette fois, pas de banquette arrière sur un parking, mais le lit confortable d'un petit hôtel de centre-ville. La fille vient de l'Est, c'est "une bombe". Et Tristan couche. "Mais sans aller jusqu'au bout." "Je me suis demandé si c'était bien à moi que c'était en train d'arriver, se souvient-il. Oui, c'était moi. Ce n'était plus l'écran de la télé." Tristan n'est donc plus vierge. Mais lui se considère encore comme tel. "Je n'ai franchi un obstacle que parce que j'ai payé. Il n'y a pas eu de jeu de séduction ni de tendresse. Ce n'était pas la vraie vie. Je suis encore privé de quelque chose." Cette histoire d'escort date d'il y a cinq ans. Depuis, plus rien. Tristan s'est remis devant l'écran, en attendant de franchir le pas de l'agence matrimoniale, donc. Il se gratte encore la tête: "Le truc, avec ce genre d'agence, c'est que je prends un risque: celui qu'il n'y ait pas d'amour non plus."
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