- 13 sept. 2020, 02:45
#235038
Bonsoir,
J'ouvre ce fil comme un journal pas très intime. J'y exposerai réflexions, états d'âme, etc., tout ce qui me semblera susceptible d'avoir un intérêt pour un lecteur. Je parle au futur, mais je suis instable, et il est possible que ma première tentative soit sans lendemain... Nous verrons bien.
* * *
Sur un départ précoce.
Je reviens de la crémaillère de Y. et L.. « Je reviens », on pourrait croire que je parle en survivant, mais je ne me suis pas ennuyé. Ou pas tellement. Ce n’est jamais tout à fait mon problème, l'ennui. Mais j’étais sans envie de discuter, incurieux, fatigué de tout – pré-lassé. Alors je suis parti avant le dernier métro, parce que la perspective de prendre un Uber, qui m’eût permis d’attendre encore avant de me décider, était source d’angoisse, même si K. m’avait dit qu’il s’en chargerait pour moi (il travaille demain matin et ne comptait pas rester excessivement tard). Et puis, le dépit d’avoir à payer cher pour simplement rentrer !
Il m’arrive souvent maintenant de partir tôt, avant tout le monde, et toujours subitement – comment pourrait-il en être autrement ? Je ne parle pas à grand monde, alors, forcément, cela paraît soudain. Et voilà une autre source de dépit, devenue aussi fréquente que ces départs : je comprends bien que j’étonne, et je crains de décevoir et de vexer. Je crains aussi de trop laisser voir que je suis malheureux. Mais je ne peux plus faire semblant, plus autant qu’avant.
Que pensent-ils, les gens que je quitte ainsi ? Que puis-je imaginer ? Je voudrais parler de la réaction de L., du ton de son « tu t’en vas ? » et du regard qui l’accompagnait, mais je ne saurais le faire : qu’a-t-il pensé ? Étonné, sans doute, et chagriné, peut-être ; j’espère qu’il n’a pas pensé que je partais parce que je me faisais suer, et que mon départ précoce accuse sa soirée.
Je saurais encore moins décrire la réaction d’Ar. : un même « tu t’en vas ? », mais sur un ton qui semblait signifier : « tu as donc pris cette décision ? », comme si je lui avais confié mais hésitations.
Et A. ? Il m’a bien gêné. Non content d’exprimer sa surprise, il a marché à côté de moi, dans la rue, quelques mètres, tandis que je m'en allais. Ne sachant que dire, troublé par cette expression de regret, je lui ai demandé, sur le ton de la plaisanterie, s’il s’en allait aussi. Et, sans doute parce que lui même ne savait pas exactement ce qu’il faisait, il m’a dit qu’il voulait juste me faire la bise. Je lui ai fait la bise. Lui a peut-être ressenti de la déception. Certaines personnes qui me connaissent encore peu ont peut-être certaines attentes ; ils m’ont connu dans mes phases de gaieté et comptent sur moi pour rire. Peut-être.
Et ceux à qui je n’ai pas dit adieu, profitant de ce qu’ils étaient dans une autre pièce, ou pris dans une foule compacte, qu’ont-ils pensé lorsqu’ils se sont aperçu que j’étais parti ? Al. et G., sans doute, se sont habitués. Mais les autres ? Et ceux qui m’ont pour l’heure à peine connu, et n'en étaient qu'aux premières impressions ?
Je ne peux jamais savoir à l’avance que je vais être dans cet état au cours d’une soirée. D’ailleurs, j’étais content d’aller à cette crémaillère, et j’avais hâte d’y être. Il me faut être sur place pour m’apercevoir que je ne suis guère en état de discuter, de me présenter aux personnes que je ne connais pas, de m’intéresser à ce que l’on fait et raconte. Cela touche jusqu’au corps, qui a toujours un peu trop chaud, qui se sent toujours un peu trop à l’étroit dans ses vêtements.
Dans ces circonstances, je ne peux rien faire d’autre que de l’humour, qui consiste alors à rebondir de façon absurde sur ce qui se dit. Je joue ainsi un rôle qu’on me connaît, je connais des succès, et comme l’effort est tout intellectuel, il ne me coûte rien, car ce qui relève de l’intellectuel n’est jamais en panne chez moi. Ce sont le goût et le désir qui me font fréquemment faux bond, et leur absence qui rend invivable une soirée. Peut-être pourrais-je rester plus longtemps si l’humour suffisait, mais il y a toujours un moment où quelqu’un vient me parler en particulier, et ce sont ces moments qui sont des supplices lorsque je suis dans cet état, ce sont ces moments que je fuis. Mais quel est au juste cet effort qui me semble insurmontable ? Pourquoi est-ce un effort ?
Je ne pars pas sans avoir fait quelques calculs : que puis-je attendre du reste de la soirée ? Que des gens viennent me parler. Puis-je espérer en retrouver l’envie ? J’ai déjà bu, et rien n’est susceptible de ma la rendre. L'expérience montre qu'il ne revient pas de lui-même. Mais ne vais-je pas vexer, décevoir ? Je risque aussi de vexer et décevoir en restant ici sans y être vraiment. Le désir qu’il me faudrait a pris congé, je prends le mien.
Il y avait bien K., toutefois. K. fait exception. Nous avons une relation dont la manière résiste à ces états. Je peux être dans cet état en compagnie de K.. Mais je ne peux pas être dans une soirée uniquement pour K., et K. aime aussi aller voir ailleurs. Et quand j’en suis à ressentir de l’anxiété parce qu’il est parti aux toilettes, que je suis à présent seul sur le canapé et que quelqu’un risque de ne pas vouloir me laisser seul, je me dis que je n’ai plus rien à faire ici.
Naguère je m’inquiétais de savoir si, en faisant cela, on continuerait de m’inviter. Je craignais qu’on ne se dise que ce n’était pas la peine. Aujourd’hui, je suis plus détaché – je voudrais dire : plus vide ; peu me chaut, tout compte fait. Voire, maintenant que cette idée ne m’inquiète plus, je la crois moins crédible que jamais : mes amis ne feraient jamais cela. En revanche, je suis tourmenté à l’idée que ce comportement puisse les vexer, qu’ils puissent penser que je ne les aime pas. Je redoute aussi qu’on ne me demande un jour de m’expliquer, parce que je ne sais pas parler de mes souffrances et qu’il y a un moment que je ne crois plus mes amis capables de m’écouter et de me comprendre à ce sujet, chose que je ne leur reproche plus, d’ailleurs. « Car elle me comprend, et mon cœur, transparent, / Pour elle seule, hélas ! Cesse d’être un problème / Pour elle seule... » Enfin, je redoute que cet état, rare autrefois, fréquent depuis quelques années, ne devienne constant. Alors, avec le temps, petit à petit, mes amis se demanderont ce qu'ils ont bien pu me trouver, un jour...
J'ouvre ce fil comme un journal pas très intime. J'y exposerai réflexions, états d'âme, etc., tout ce qui me semblera susceptible d'avoir un intérêt pour un lecteur. Je parle au futur, mais je suis instable, et il est possible que ma première tentative soit sans lendemain... Nous verrons bien.
* * *
Sur un départ précoce.
Je reviens de la crémaillère de Y. et L.. « Je reviens », on pourrait croire que je parle en survivant, mais je ne me suis pas ennuyé. Ou pas tellement. Ce n’est jamais tout à fait mon problème, l'ennui. Mais j’étais sans envie de discuter, incurieux, fatigué de tout – pré-lassé. Alors je suis parti avant le dernier métro, parce que la perspective de prendre un Uber, qui m’eût permis d’attendre encore avant de me décider, était source d’angoisse, même si K. m’avait dit qu’il s’en chargerait pour moi (il travaille demain matin et ne comptait pas rester excessivement tard). Et puis, le dépit d’avoir à payer cher pour simplement rentrer !
Il m’arrive souvent maintenant de partir tôt, avant tout le monde, et toujours subitement – comment pourrait-il en être autrement ? Je ne parle pas à grand monde, alors, forcément, cela paraît soudain. Et voilà une autre source de dépit, devenue aussi fréquente que ces départs : je comprends bien que j’étonne, et je crains de décevoir et de vexer. Je crains aussi de trop laisser voir que je suis malheureux. Mais je ne peux plus faire semblant, plus autant qu’avant.
Que pensent-ils, les gens que je quitte ainsi ? Que puis-je imaginer ? Je voudrais parler de la réaction de L., du ton de son « tu t’en vas ? » et du regard qui l’accompagnait, mais je ne saurais le faire : qu’a-t-il pensé ? Étonné, sans doute, et chagriné, peut-être ; j’espère qu’il n’a pas pensé que je partais parce que je me faisais suer, et que mon départ précoce accuse sa soirée.
Je saurais encore moins décrire la réaction d’Ar. : un même « tu t’en vas ? », mais sur un ton qui semblait signifier : « tu as donc pris cette décision ? », comme si je lui avais confié mais hésitations.
Et A. ? Il m’a bien gêné. Non content d’exprimer sa surprise, il a marché à côté de moi, dans la rue, quelques mètres, tandis que je m'en allais. Ne sachant que dire, troublé par cette expression de regret, je lui ai demandé, sur le ton de la plaisanterie, s’il s’en allait aussi. Et, sans doute parce que lui même ne savait pas exactement ce qu’il faisait, il m’a dit qu’il voulait juste me faire la bise. Je lui ai fait la bise. Lui a peut-être ressenti de la déception. Certaines personnes qui me connaissent encore peu ont peut-être certaines attentes ; ils m’ont connu dans mes phases de gaieté et comptent sur moi pour rire. Peut-être.
Et ceux à qui je n’ai pas dit adieu, profitant de ce qu’ils étaient dans une autre pièce, ou pris dans une foule compacte, qu’ont-ils pensé lorsqu’ils se sont aperçu que j’étais parti ? Al. et G., sans doute, se sont habitués. Mais les autres ? Et ceux qui m’ont pour l’heure à peine connu, et n'en étaient qu'aux premières impressions ?
Je ne peux jamais savoir à l’avance que je vais être dans cet état au cours d’une soirée. D’ailleurs, j’étais content d’aller à cette crémaillère, et j’avais hâte d’y être. Il me faut être sur place pour m’apercevoir que je ne suis guère en état de discuter, de me présenter aux personnes que je ne connais pas, de m’intéresser à ce que l’on fait et raconte. Cela touche jusqu’au corps, qui a toujours un peu trop chaud, qui se sent toujours un peu trop à l’étroit dans ses vêtements.
Dans ces circonstances, je ne peux rien faire d’autre que de l’humour, qui consiste alors à rebondir de façon absurde sur ce qui se dit. Je joue ainsi un rôle qu’on me connaît, je connais des succès, et comme l’effort est tout intellectuel, il ne me coûte rien, car ce qui relève de l’intellectuel n’est jamais en panne chez moi. Ce sont le goût et le désir qui me font fréquemment faux bond, et leur absence qui rend invivable une soirée. Peut-être pourrais-je rester plus longtemps si l’humour suffisait, mais il y a toujours un moment où quelqu’un vient me parler en particulier, et ce sont ces moments qui sont des supplices lorsque je suis dans cet état, ce sont ces moments que je fuis. Mais quel est au juste cet effort qui me semble insurmontable ? Pourquoi est-ce un effort ?
Je ne pars pas sans avoir fait quelques calculs : que puis-je attendre du reste de la soirée ? Que des gens viennent me parler. Puis-je espérer en retrouver l’envie ? J’ai déjà bu, et rien n’est susceptible de ma la rendre. L'expérience montre qu'il ne revient pas de lui-même. Mais ne vais-je pas vexer, décevoir ? Je risque aussi de vexer et décevoir en restant ici sans y être vraiment. Le désir qu’il me faudrait a pris congé, je prends le mien.
Il y avait bien K., toutefois. K. fait exception. Nous avons une relation dont la manière résiste à ces états. Je peux être dans cet état en compagnie de K.. Mais je ne peux pas être dans une soirée uniquement pour K., et K. aime aussi aller voir ailleurs. Et quand j’en suis à ressentir de l’anxiété parce qu’il est parti aux toilettes, que je suis à présent seul sur le canapé et que quelqu’un risque de ne pas vouloir me laisser seul, je me dis que je n’ai plus rien à faire ici.
Naguère je m’inquiétais de savoir si, en faisant cela, on continuerait de m’inviter. Je craignais qu’on ne se dise que ce n’était pas la peine. Aujourd’hui, je suis plus détaché – je voudrais dire : plus vide ; peu me chaut, tout compte fait. Voire, maintenant que cette idée ne m’inquiète plus, je la crois moins crédible que jamais : mes amis ne feraient jamais cela. En revanche, je suis tourmenté à l’idée que ce comportement puisse les vexer, qu’ils puissent penser que je ne les aime pas. Je redoute aussi qu’on ne me demande un jour de m’expliquer, parce que je ne sais pas parler de mes souffrances et qu’il y a un moment que je ne crois plus mes amis capables de m’écouter et de me comprendre à ce sujet, chose que je ne leur reproche plus, d’ailleurs. « Car elle me comprend, et mon cœur, transparent, / Pour elle seule, hélas ! Cesse d’être un problème / Pour elle seule... » Enfin, je redoute que cet état, rare autrefois, fréquent depuis quelques années, ne devienne constant. Alors, avec le temps, petit à petit, mes amis se demanderont ce qu'ils ont bien pu me trouver, un jour...