Une petite histoire, à lire de préférence le soir pour plus de sensations. ^^
Sa particularité est d'être... strictement vraie !
Je le jure sur ce que j'ai de plus cher, je l'ai écrite pour garder un souvenir de cette petite mésaventure aux frontières du paranormal.
Elle se compose de nombreux témoins, ce qui n'est pas toujours le cas dans ce genre d'histoires, et la rend d'autant plus troublante.
Je me doute que les esprits cartésiens ne me croiront pas pour autant, pas grave.
...
C’était une cave, une sorte de catacombe dont le plafond était grossièrement voûté. Grossièrement parce que cela n’avait rien de baroque ou de luxueusement ancien. Non, c’était une pièce basique et inhospitalière, comme taillée dans la pierre brute. On devait autrefois y entreposer des conserves et des bouteilles de vin. Les murs étaient suintants, moites, comme pleurants d’un malaise ambiant, et seule une modeste fenêtre tranchait cette masse étouffante. La porte d’entrée elle, paraissait être le seul élément moderne de l’ensemble. Elle avait en effet été changée quelques années auparavant. Le contraste frappant semblait traduire en quelque sorte l’unique moyen de ralliement à la réalité.
Yann, David et les autres membres de leur groupe baptisé « Cactus » avaient obtenu de la mairie le prêt de cette salle de répétition aux multiples avantages : placée au-dessous de l’école de Musique, assez isolée pour ne pas s’inquiéter du son, et gratuite sous certaines conditions (notamment de quelques concerts dans la ville si mes souvenirs sont bons). Ils avaient installé leur matériel et leurs instruments et l’avaient décorée aux couleurs du groupe. Pourtant, malgré les efforts pour lui donner une âme, on n’était jamais vraiment à l’aise dans cette pièce. Le genre de lieu on l’on ne sent pas de bonnes vibrations comme on dit, sans qu’on puisse y donner une explication concrète. C’est sensoriel. Mais, assurément, c’est là.
Nous y avions déjà passés quelques soirées, pour discuter et picoler, mais en dehors de cette sensation pesante, rien ne laissait présager la suite de l’histoire. Car le malaise ne venait pas tant de la pièce où nous nous trouvions que d’une autre adjacente. En effet, au fond se dessinait une petite porte donnant sur les caves avoisinantes. Il y en avait cinq en tout. Celle qui servait de salle de répétition (1), la fameuse pièce juxtaposée à celle-ci et qui sera le théâtre des évènements qui suivront (2), une troisième à droite qui était en ruine et dont le sol était jonché de gravats et de débris (3), une autre à gauche complètement vide si l’on excepte une sorte de chauffe-eau (4), et enfin la dernière, située en face de l’entrée de la pièce où nous nous trouvions, aménagée comme une chambre avec un lit et quelques vieux meubles éparses (5). Car étrangement quelqu’un, pour je ne sais plus quelle raison, venait dormir de temps en temps dans cette pièce. Nous avions du mal à imaginer comment il était possible pour quelqu’un de sain de dormir dans ces caves lugubres mais il faut croire que ça l’était.
Plan des caves.jpg
L’histoire débuta le plus simplement du monde, un jour où Yann alla soulager une envie pressante dans la salle d’à côté au cours d’une soirée. Nous avons pu découvrir à cette occasion que la pièce en question abritait un détail pour le moins dérangeant et peu commun : un restant de messe noire, du moins le supposions-nous par déduction. Que cela pouvait-il être d’autre ? La vision était aussi malsaine que déroutante. Il se trouvait là un ancien lavabo de pierre plus ou moins taillé dans le mur, dont la partie supérieure, à l’endroit où se trouvent généralement les miroirs, était maculé de sang séché. Une bouleversante et large trainée d’un rouge sombre, résultant au vu de la forme d’un égorgement effectué dans le but de récupérer le liquide à l’intérieur de la cuvette. La taille de la trace laissait penser à un animal de petit gabarit, du genre poulet, lapin, chat… Cela faisait un choc de voir ça, vraiment. Qui a déjà croisé une chose pareille au cours de sa vie ?! Comme on peut s’en douter, cela intensifia sans mal l’ambiance de la soirée. Les membres du groupe évoquèrent alors une rumeur racontant qu’un marginal aurait effectivement élu domicile dans ces caves avant qu’elles ne soient réaménagées. Légende urbaine probablement. Mais une légende qui avait cependant laissé une trace visible dans son sillage.
C’est en découvrant cette troublante face cachée que nous avons commencé à discuter de l’ambiance qu’il y régnait, chacun évacuant tout d’un coup les sensations qu’il avait ressenti auparavant sans oser les exprimer. Au détour de la conversation, quelqu’un se mit à nous parler des voix. En effet, lorsqu’ils répétaient leurs compositions, ils leurs étaient arrivés d’entendre fredonner par-dessus la musique ! Pas des voix très distinctes, pas du chant lyrique certes. Mais quand même… Cependant, chose curieuse, ils n’avaient jamais réellement prêté attention à ce phénomène jusqu’à ce soir-là. JB, un ami plutôt cartésien et calé en audio, commença à nous expliquer de façon détaillée qu’il n’était pas rare que les micros captent d’autres fréquences et en restituent des bribes dans les enceintes. Soit. Mais piqués par la curiosité et cette forme d’émulation excitante qui naît souvent lorsqu’on est en groupe, nous décidions d’en avoir le cœur net. Le meilleur moyen serait simplement de jouer un morceau instrumental tout en prêtant une oreille attentive aux éventuels sons parasites qui pourraient se greffer en arrière-plan. C’est ce qui fut décidé. Les musiciens entamèrent donc une boucle musicale.
Et là, au bout de quelques instants… merveille ou horreur, une voix se mit effectivement à chanter ! Ce terme n’est pas le plus approprié : elle fredonnait plutôt, sur un ton étrange, comme amusée et sadique à la fois. Nous étions stupéfaits, partagés entre le rire et le malaise. Il était maintenant tout-à-fait clair que cette voix n’était pas un bruit parasite, puisqu’elle chantait en rythme sur la musique et suffisamment juste ! En fait, cette mystérieuse voix sembler se ficher de notre gueule en faisant ça, comme pour nous narguer, nous provoquer. C’est assez difficile à décrire par des mots, mais ça n’avait définitivement rien d’amical ou de rassurant. En tous cas l’affaire était lancée, et nous étions maintenant prisonniers de ses sombres méandres. Si j’emploie le terme de « prisonniers » ce n’est pas anodin. À partir de ce moment-là, notre vie avec quelques amis va prendre une tournure tout-à-fait étrange.
Là encore il est très difficile de l’expliquer et d’en restituer la véritable nature. Nous étions fascinés, envoûtés par cette pièce, pris dans le puissant paradoxe de l’attirance et de la peur mélangées. Nous y retournions tous les soirs afin de guetter des indices. En contrepartie il nous était devenu impossible de dormir avant le lever du soleil, trop perturbés par nos pensées pour trouver le sommeil avant 6 ou 7 heures du matin. Nous passions la nuit entière à discuter, boire et fumer pour déstresser. Parfois dans la salle de répétition, parfois à l’arrière d’un utilitaire qui était devenu notre Q.G. itinérant le temps d’un été. Souvent nous retrouvions Benoît qui rentrait de son job de barman sur le coup des 4 heures pour aller prendre un verre dans son jardin et finir la nuit en plaisantant, pour décompresser. Mais c’était bel et bien là, maintenant, tout le temps, cette ambiance noire à laquelle la fatigue n’arrangeait évidemment rien.
Un jour nous décidâmes de passer à la vitesse supérieure. Nous allions enfin en avoir le cœur net, en installant un caméscope dans la pièce pendant que nous jouerions de la musique dans l’autre. Cette idée était particulièrement excitante, mais nous redoutions dans le même temps d’y découvrir quelque chose de palpable encore une fois. Nous posâmes la caméra de manière légèrement surélevée afin d’obtenir le plus grand angle de vue possible, contre le mur séparant les deux pièces, exactement sous le lavabo aux abjectes souillures. La lumière ne fut évidemment pas éteinte afin de capter le moindre mouvement suspect. La porte fermée, les musiciens commencèrent à jouer une boucle assez monotone et répétitive, destinée à tourner pendant une bonne dizaine de minutes. Il va sans dire que cette séance musicale fut quelque peu singulière pour toutes les personnes présentes. Nous étions terriblement impatients mais crispés à l’idée de découvrir le résultat de ce film. La séance terminée nous récupérons le caméscope. Rien d’anormal. Puis nous reprenons la route pour aller visionner l’enregistrement chez mes parents. Je mets la cassette dans le magnétoscope, et la vidéo se lance, sous nos regards attentifs et inquiets.
Un mur délabré. Un simple mur délabré. Voilà ce que nous voyons. Une image parfaitement fixe, et qui le restera du début à la fin. Rien. Aucun mouvement d’un quelconque objet à déplorer pendant le déroulement de la vidéo. Échec de l’opération ? Ho que non, certainement pas… Le son dépassa de loin ce que nous aurions pu imaginer. La voix était bien là, toujours la même. Et parfaitement distincte, puisque pour la première fois isolée du reste de la musique que l’on n’entendait qu’en sourdine derrière le mur. Nous avons cru distinguer une multitude de sons étranges et bizarres, comme la porte qui claquait (elle est pourtant restée close durant l’enregistrement), des sortes de grognements et quelques autres bruits lugubres mais indéfinissables. Beaucoup plus troublant, il nous semblait percevoir à un instant de la bande une voix de fillette criant à l’aide.
Cependant ces sons-là étaient toujours étouffés, sujets à caution parce que brouillons et imprécis. Mais pas « la » voix. La voix principale était intelligible, nette et compréhensible. Le passage le plus incroyable, celui qui établissait sans aucun doute possible la preuve d’une présence, fut celui où la voix se déplaçait clairement d’un bout à l’autre de la pièce, comme si elle marchait de long en large et enjambait la caméra. La perception du mouvement était si précise que nous pouvions imaginer parfaitement le trajet d’un côté puis de l’autre, avec le moment terrible où, se trouvant très près du caméscope, le micro captait presque le souffle de la personne. Elle fredonnait en rythme sur la musique comme à l’accoutumé, mais d’une manière on ne peut plus sarcastique. Une suite de « lalala lalala lalalalalala… » évidemment impossible à retranscrire à l’écrit, mais qui résonne encore aujourd’hui dans ma tête comme si c’était hier.
Je n’ai jamais de toute ma vie été autant dérouté que par ce chant morbide. Ma vie venait de basculer dans la folie. Cette vidéo me terrifiait et m’obsédait en même temps. J’étais complètement envoûté, il fallait que je la regarde tous les jours, plusieurs fois par jour. La cassette était entreposée dans la chambre de mon frère, qui n’était pas là à ce moment-là, parce que celle-ci était plus ou moins séparée du reste de la maison. Je n’aurais pas osé dormir dans la même pièce, j’avais l’impression que la sensation s’était déplacée avec l’objet. Chaque fois que je rentrais dans cette chambre pour la visionner j’étais pris à la gorge d’un malaise incompréhensible. J’avais l’impression que la voix était tapie à côté. Mais c’était plus fort que moi, il fallait que je la regarde, encore et encore, seul ou entre amis. Nous étions mal, vraiment, livides et pâles. Impossible de dormir avant le lever du soleil. Je n’étais même plus capable de traverser de nuit les dix mètres de mon jardin séparant le portail de la porte d’entrée. J’étais terrorisé. C’est inconcevable quand j’y repense maintenant et pourtant, il m’était impossible de le faire. Les souvenirs des soirées passées là-bas s’entrechoquaient à chaque fois que je fermais les yeux.
Par exemple, ce souvenir du soir où JB ferma la porte et éteignit la lumière derrière Xavier et moi pour nous faire une mauvaise blague. Je n’ai jamais ressenti cela, une telle pulsion de peur et de survie que j’aurais défoncé cette porte en quelques coups de pieds. Il faut croire que nos hurlements furent à eux seuls assez convaincants pour qu’il la ré-ouvre à peine quelques secondes plus tard. Ça n’a duré qu’un infime laps de temps, mais ce fut pourtant atroce de se retrouver dans le noir complet, à quelques centimètres du lavabo de pierre ensanglanté, et entouré de cette froideur putride et pernicieuse qui flottait dans l’atmosphère. Pourtant lui non plus, le cartésien supposé, avait été bien obligé de ravaler ses convictions lorsqu’il avait senti ce souffle un soir. Ce souffle froid qui lui avait parcouru la nuque et qui l’avait fait sortir livide de la pièce en exhortant les autres de le suivre. C’est encore lui qui avait eu l’impression étrange que le camion qu’il conduisait un soir n’avançait pas, comme tiré en arrière pour nous empêcher de sortir de l’enceinte du bâtiment. Comme si le portail en face s’éloignait alors que nous avancions vers lui. Bien sûr cette sensation peut semblait grotesque au premier abord. Mais elle témoigne de la puissance avec laquelle nos esprits étaient troublés pour en arriver à de telles déroutes sensorielles et psychologiques.
Oui, tous ces souvenirs revenaient constamment dans nos âmes torturées. Pas moyen de s’en détacher. Cela prenait la forme d’une malédiction, d’une poursuite contre l’impalpable. Nous ne pourrions plus être bien tant que nous aurons cette vidéo de malheur. C’est la conclusion que nous avons tiré au bout d’un moment. Nous n’en pouvions plus, c’en était trop, il fallait se débarrasser de cette cassette. Comme dans toute bonne histoire du genre, les preuves formelles seront détruites. J’ai toujours autant de mal à accepter la décision que nous avons pris ce jour-là. Nous en détenions justement une, oui ! Une preuve de l’existence de forces qui, quelle que soit leur nature, dépassent les limites de ce que nous concevons naturellement. Cela n’a pas de prix une chose pareille. Et pourtant nous n’avons pas eu la présence d’esprit de l’envoyer à quelqu’un que ça aurait pu intéresser. S’en débarrasser mais pas la détruire. Pas ce geste inconsidéré qui nous fera éternellement passer pour des menteurs lorsque nous tenterons d’en retranscrire la réalité. Je serais prêt à n’importe quoi pour revoir cette vidéo. Je m’en veux terriblement aujourd’hui. Mais la question ne se posait malheureusement pas en ces termes à l’époque. Pour nous il semblait fondamental de retrouver une vie normale le plus vite possible au risque de devenir à moitié fous.
Un peu avant le lever du soleil nous sommes allés sur un parking de supermarché désert. Là, nous y avons brûlé la cassette au sein d’un petit bûcher dressé pour l’occasion, à la manière d’un rituel. C’était ridicule, assurément. Je suppose que cette sensation de malédiction nous a fait procéder de la sorte, par peur de ne pas s’en débarrasser totalement si nous l’avions simplement jetée aux ordures. Nous l’avons observée se consumer, lentement, tandis que le jour refaisait progressivement surface en arrière-plan. Le pseudo rituel accompli, nous sommes allés nous coucher chacun de notre côté, les esprits embrumés mais significativement apaisés. Le lendemain, nous n’étions plus les mêmes. Nos corps semblaient plus légers, nos âmes libres de toutes contraintes. Cette fois c’était parti. Quoi que fût cette chose elle s’en était allée ailleurs, c’était définitivement terminé. Ne nous restait alors plus que nos souvenirs, et l’écho lointain de ce funeste et inoubliable fredonnement. À jamais gravé dans nos esprits comme l’une des plus troublantes et des plus impressionnantes expériences que nos courtes vies avaient eu à endurer jusque-là.
Nous n’avons pas rêvé. Je serais capable de tout remettre en cause s’il le fallait, absolument tout. Capable d’abandonner les sensations, les bruits étouffés, les ambiances lugubres et le reste sur le compte d’une psychose collective, accentuée sans mal par l’émulation et le caractère turbulent de nos soirées adolescentes. Oui tout, sauf une chose sur laquelle je ne transigerai jamais : l’impossibilité pour une voix parfaitement distincte de se déplacer de part et d’autre d’un caméscope posé contre un mur à l’intérieur d’une pièce vide et éclairée. Il n’y a pas d’explication rationnelle. On a beau retourner le problème dans tous les sens — et dieu sait combien d’heures nous y avons planché ! — la configuration ne le permet tout simplement pas. Le déplacement physique était perceptible dans la captation sonore spatiale. Nous avons visionné et écouté cette foutue bande des dizaines de fois, avec des personnes de la soirée ou non, la présence de quelqu’un dans cette pièce était incontestable. La voix chantait formellement en rythme, ne se réveillait qu’en présence de la musique, et revenait systématiquement avec elle. Quel que soit le jour. Ça n’était pas ponctuel, puisque les membres du groupe évoquaient l’existence de ce détail étrange depuis longtemps dans leurs répétitions. Aucune interférence, ni aucune mauvaise blague aussi élaborée soit-elle, ne pourra jamais expliquer la durée, le systématisme et la personnification d’un tel phénomène. Ça n’a pas le moindre sens. Nous avons parcouru les quelques petites caves dans les moindre recoins, il n’y avait strictement rien de remarquable. Rien, si ce n’est bien sûr l’existence d’une infâme giclée de sang séché dégoulinant au-dessus d’un vieux lavabo de pierre.
Photo prise quelques années après de la porte d'entrée :
Porte d'entrée.JPG
Épilogue :
J'ai déjà posté cette histoire sur un autre forum, et une personne se prétendant plus ou moins médium m'avait demandé des photos. Elle en a conclu, d'après ses sensations, que la voix n'était pas liée au lieu mais à la présence d'une personne en particulier. Et en effet, dans le groupe se trouvait un mec qui a toujours eu des propos étranges, qui prétendait voir et entendre des trucs. Mais ce mec était relativement chelou, parce qu'il ne semblait absolument pas maitriser ces « pouvoirs ». Il les subissait. Donc ça donnait quelque chose de flippant. Parfois en plein milieu de la soirée il nous demandait si on avait entendu un bruit de porte, une voix, ce genre de trucs bien déconcertants. Par ailleurs il m'a déjà parlé d'une dame qui veillait sur moi dans ma chambre de la maison familiale. Et sa description correspondait bien à la photo que nous avions de l'ancienne dame qui y vivait, et qu'il ne pouvait évidemment pas connaitre.
Bref, pour quelqu'un qui croit à ces choses-là, cet ami avait des pouvoirs médiumniques. Et ce serait donc lui qui aurait attiré une entité dans son sillage lors de ces soirées.
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