- 01 sept. 2024, 21:26
#259080
J’ai perdu ma virginité à 46 ans.
Catherine est très entourée, elle sort, travaille, s’amuse. Pourtant, les années passent et rien en passe : elle n’est pas « désirée ». Jusqu’à sa rencontre il y a quatre ans avec Olivier, juste avant le confinement. « Le premier a été le bon », nous confie-t-elle, non sans humour, dans un témoignage poignant.
Propos recueillis par Ségolène Barbé / Illustrations : Johanne Licard
Je ne corresponds pas au cliché de la vieille fille aigrie et un peu renfermée sur elle-même. J’ai travaillé pendant vingt ans dans l’audiovisuel, où j’ai été journaliste, rédactrice en chef. Je vivais à Paris, j’avais des amis, je sortais beaucoup… Je n’ai jamais eu du doute sur mon attirance pour les garçons, mais depuis l’enfance, être aimée, touchée et choisie par quelqu’un ne me semblait pas une possibilité pour moi. J’étais spectatrice de ceux qui vivaient cela autour de moi, mais jamais actrice. Au lycée, certains garçons me plaisaient, mais mon histoire avec eux restait dans ma tête, je ne tentais jamais quoi que ce soit de concret. A 18 ans, dans mon école de cinéma, j’ai rencontré Fabien, avec qui, pour la première fois, il y a eu une attirance réciproque, un vrai partage. Je sentais une vraie chaleur entre nous, mais lorsqu’il a tenté de m’approcher, j’ai dit non, alors que j’en avais très envie. Plus tard, j’ai essayé de rattraper les choses, de l’inviter à boire un verre, mais c’était trop tard, son ego en avait sans doute pris un coup et il n’a jamais donné suite. Cette année-là, à une soirée, j’ai dansé un premier slow avec un garçon qui m’attirait mais que, là encore, je ne sais pas pourquoi, j’ai refusé de l’embrasser. C’était comme un réflexe inconscient, une barrière que je me mettais malgré mon désir. Ces occasions manquées lors de mes études – ces années d’indépendances, de liberté, où m’on vit souvent ses premières expériences sexuelles – m’ont sans doute confortée dans l’idée que j’étais différentes des autres, que tout cela n’était pas fait pour moi.
Ensuite, jusqu’à la quarantaine passée, j’ai connu de grandes amitiés masculines, qui sont devenues bancales à partir d’un certain moment car, pour moi, elles devenaient amoureuses, sans que cela n’allait jamais plus loin, sans doute parce que je ne devais pas émettre les bons signaux ni dégager ce qu’il fallait. Je restais toujours une amie, en tant que potentielle amoureuses. Le plus douloureux dans la virginité, ce n’est pas tant l’absence de l’acte sexuel en lui-même – le fait de ne jamais avoir été déflorée, comme on dit dans les livres – mais plutôt le fait de ne pas être touchée. Dans la vie, bien sûr, on peut être touché dans le métro ou par sa mère… Mais ce qui me manquait le plus, c’était le lien intime avec une autre personne, ce qui est aussi une façon de se sentir relié aux autres de manière plus générale, intégré dans l’humanité. Les autres appartenaient à cet univers dans lequel ils pouvaient se connecter en tant que corps désirants, mais moi, j’en étais exclue. C’était d’autant plus pesant que je ne confiais à personne. J’ai toujours été très forte pour faire parler les autres, ce qui m’évitait de parler de moi. J’avais honte de ma virginité parce qu’elle marquait ma différence : je la voyais comme un handicap. Certains n’ont pas de main ou pas de pied, moi, il me manquait le bouton « amoureuse ». A 43 ans, je n’avais jamais touché ni embrassé personne, pas même un « smack ». J’étais rattrapée par la question des enfants. J’aurais pu essayer de faire un enfant seule grâce à l’insémination, mais je me disais que je serais vraiment la Vierge Marie ! Devenir mère sans avoir couché, cela risquait de me mettre encore davantage dans une position d’étrangeté, d’anormalité.
« J’AVAIS HONTE DE MA VIRGINITÉ PARCE QU’ELLE MARQUAIT MA DIFFÉRENCE : JE LA VOYAIS COMME UN HANDICAP. »
Depuis la fin de ma vingtaine, je voyais des psys et je réussissais tout de même à avancer, à prendre conscience que les choses pouvaient changer. J’ai commencé à assumer davantage et j’ai parlé de ma virginité à trois de mes amis proches qui ont été très surpris – cela ne cadrait pas du tout avec l’image qu’ils avaient de moi. Me confier à eux m’a permis de me sentir plus légère : je ne vivais plus dans le mensonge, je m’accordais enfin le droit d’être moi-même. A 45 ans, j’ai passé ma première nuit avec un homme, l’ami d’un ami que je connaissais bien et avec qui je me sentais en confiance. Nous étions tous les deux un peu perdus, moi avec ma virginité tardive, et lui dans ses difficultés avec sa femme, qui était la seule relation qu’il avait connue dans sa vie… Nous n’avons pas été jusqu’au bout car nous avions pas de préservatifs, mais cette nuit a été libératrice pour moi, très agréable et pas du tout flippante. Enfin, j’étais touché par quelqu’un. Enfin je me sentais vivante. La suite a été plus difficile : Fabien avait des problèmes personnels à régler et il a pris ses distances avec moi.
Quelques mois plus tard, j’ai craqué et j’ai fait un séjour de trois jours à l’hôpital Saint-Anne. Paradoxalement, ce moment de grand désespoir a été un vrai déclic et a vraiment marqué la fin d’une période. J’avais touché le fond et maintenant je ne pouvais que me relever. J’ai commencé à voir une nouvelle psychothérapeute, qui m’aidait en me donnant des défis concrets, par exemple m’inscrire sur un site de rencontres, ce que j’ai accepté au bout de quelques mois, même si cet univers me paraissait à des années-lumière de moi. Chaque rendez-vous représentait un effort immense. Avant d’y aller, j’étais malade à chaque fois. Moi qui étais déjà si peu à l’aise avec la séduction, j’ai vécu plusieurs ratages mémorables et très douloureux : l’homme qui répond au serveur qu’il n va rien prendre alors qu’il vient de s’asseoir, celui qui fait la gueule pendant notre rendez-vous et que je vois le lendemain rire aux éclats avec une autre fille, à une terrasse de café en bas de chez moi…
« C’EST IMPORTANT POUR MOI DE TÉMOIGNER AUJOURD’HUI POUR CEUX QUI SE SENTENT SEULS QUE JE L’AI ÉTÉ. »
Mais ces rencontres ont tout de même dû débloquer quelque chose en moi. En février 2020, juste avant le confinement, j’ai rencontré Olivier. On a pris un café et, au bout d’une heure, je suis partie, comme je le fais à chaque fois. Il m’en veut encore aujourd’hui de ce départ précipité ! L’après-midi, il m’a envoyé un texto pour me dire qu’il me trouvait jolie, intelligente, et qu’il souhaitait me revoir. Personne ne m’avait dit cela. Je l’avais trouvé très sympa et je me suis dit qu’avec lui j’allais pouvoir poursuivre mes expériences, l’embrasser… J’en parle un peu comme d’un challenge, mais changer, c’est un véritable travail : je sentais qu’à 46 ans il fallait que je casse quelque chose de mon comportement. Le confinement est arrivé et, avec Olivier, on a commencé à se parler sur Skype tous les jours. Très vite, je lui ai parlé de ma virginité. Il a été très surpris. Comme il me l’a avoué, la virginité à 46 ans, « on ne la lui avait encore jamais faite » ! Olivier, c’est tout l’inverse de moi : il couche avec des filles depuis qu’il a 13 ou 14 ans et, depuis son divorce, était un habitué des sites de rencontres. Je pense que finalement, ce confinement a été une chance pour nous. Le fait de pouvoir se parler au téléphone m’a tranquillisée : je savais qu’il n’allait pas me demander un rapport physique tout de suite. Un matin d’avril 2020, j’ai grillé le confinement avec une attestation bidon pour aller le retrouver chez lui. Dans le bus qui séparait mon XIVe arrondissement du Xe où il habitait, j’avais l’impression de faire un truc de dingue. J’ai traversé la Seine : j’avais attendu quarante-six ans mais, maintenant, seuls quatre kilomètres nous séparaient.
Je me dis souvent que c’est lorsque le monde s’est arrêté que j’ai commencé à vivre, peut-être parce que je n’aime rien faire comme les autres… Je n’allais pas chez lui pour discuter. Dès que je suis entrée, on s’est embrassés et cette première fois où nous avons fait l’amour a été très naturelle. Je ne me suis pas sentie godiche ni mal à l’aise, mais j’ai beaucoup saigné, au point que j’avais peur de faire une hémorragie. J’ai eu très mal aussi. Je pense que mon corps devait être blindé, un peu réfractaire… C’est peut-être aussi moins naturel pour un corps de femme de faire l’amour pour la première à 46 ans qu’à 18… La troisième ou quatrième fois où nous avons couché ensemble, j’ai eu un eczéma géant sur tout le corps, mais cela n’a pas duré. Perdre sa virginité à 46 ans, ce n’est pas rien, mais je me sens plus forte d’avoir surmonté cela. Cela m’a permis de travailler sur moi, de comprendre davantage les blessures des autres, de développer mon empathie… J’ai l’impression que cela rend mon histoire avec Olivier encore plus belle. Je ne me suis jamais vraiment intéressée aux causes de cette virginité tardive, mais plutôt aux conséquences. Par exemple, j’ai trente kilos de trop depuis l’enfance, mais je n’ai pensé que c’était à cause de cela. Je ne voulais pas me chercher d’excuses mais prendre ma vie en main. C’est important pour moi de témoigner aujourd’hui pour ceux qui se sentent seuls que je l’ai été. On parle de plus en plus des asexuels ou des abstinents qui ne font plus l’amour pendant un certain temps mais ce n’est pas la même chose car ils ont été touchés, ils savent ce que c’est un lien intime avec quelqu’un. Moi, je me sentais dans un monde à part, et lorsque je recherchais des gens comme moi, je n’en trouvais aucun, pas même sur Internet. Avant je ne parlais jamais de moi car je n’avais rien à raconter.
Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression que ma vie pourrait être un roman. La première semaine que nous avons passée ensemble avec Olivier, en août 2020, il a fait un arrêt cardiaque. Je l’ai massé pendant quinze minutes et les pompiers m’ont dit que je lui avais sauvé la vie. Il est resté deux jours dans le coma. A l’hôpital, je lui disais : « Tu ne peux pas partir maintenant alors qu’on vient de se trouver. » Le lendemain, à mon retour, il a ouvert les yeux et m’a pris la main, qu’il a serrée fort. En plus que la perte de virginité, ce début de vie commune a vraiment scellé quelque chose de fort entre nous : il sait qu’il peut compter sur moi et je sais c’est en partie pour moi qu’il est revenu.
Psychologies Magazine Août 2024
Des ressources sur la virginité tardive :
Des témoignages sur deux plateformes de podcasts : Louie Média, Entre nos lèvres.
Un forum : https://forum.virginite-tardive.fr (on est référencé !!!!)
Un roman graphique pour rire, dédramatiser, s’instruire et mieux comprendre l’imaginaire lié à la virginité féminine : Vierges, la folle histoire de la virginité d’Elise Thiébaut, illustrations d’Elléa Bird (Le Lombard. 2024)
Catherine est très entourée, elle sort, travaille, s’amuse. Pourtant, les années passent et rien en passe : elle n’est pas « désirée ». Jusqu’à sa rencontre il y a quatre ans avec Olivier, juste avant le confinement. « Le premier a été le bon », nous confie-t-elle, non sans humour, dans un témoignage poignant.
Propos recueillis par Ségolène Barbé / Illustrations : Johanne Licard
Je ne corresponds pas au cliché de la vieille fille aigrie et un peu renfermée sur elle-même. J’ai travaillé pendant vingt ans dans l’audiovisuel, où j’ai été journaliste, rédactrice en chef. Je vivais à Paris, j’avais des amis, je sortais beaucoup… Je n’ai jamais eu du doute sur mon attirance pour les garçons, mais depuis l’enfance, être aimée, touchée et choisie par quelqu’un ne me semblait pas une possibilité pour moi. J’étais spectatrice de ceux qui vivaient cela autour de moi, mais jamais actrice. Au lycée, certains garçons me plaisaient, mais mon histoire avec eux restait dans ma tête, je ne tentais jamais quoi que ce soit de concret. A 18 ans, dans mon école de cinéma, j’ai rencontré Fabien, avec qui, pour la première fois, il y a eu une attirance réciproque, un vrai partage. Je sentais une vraie chaleur entre nous, mais lorsqu’il a tenté de m’approcher, j’ai dit non, alors que j’en avais très envie. Plus tard, j’ai essayé de rattraper les choses, de l’inviter à boire un verre, mais c’était trop tard, son ego en avait sans doute pris un coup et il n’a jamais donné suite. Cette année-là, à une soirée, j’ai dansé un premier slow avec un garçon qui m’attirait mais que, là encore, je ne sais pas pourquoi, j’ai refusé de l’embrasser. C’était comme un réflexe inconscient, une barrière que je me mettais malgré mon désir. Ces occasions manquées lors de mes études – ces années d’indépendances, de liberté, où m’on vit souvent ses premières expériences sexuelles – m’ont sans doute confortée dans l’idée que j’étais différentes des autres, que tout cela n’était pas fait pour moi.
Ensuite, jusqu’à la quarantaine passée, j’ai connu de grandes amitiés masculines, qui sont devenues bancales à partir d’un certain moment car, pour moi, elles devenaient amoureuses, sans que cela n’allait jamais plus loin, sans doute parce que je ne devais pas émettre les bons signaux ni dégager ce qu’il fallait. Je restais toujours une amie, en tant que potentielle amoureuses. Le plus douloureux dans la virginité, ce n’est pas tant l’absence de l’acte sexuel en lui-même – le fait de ne jamais avoir été déflorée, comme on dit dans les livres – mais plutôt le fait de ne pas être touchée. Dans la vie, bien sûr, on peut être touché dans le métro ou par sa mère… Mais ce qui me manquait le plus, c’était le lien intime avec une autre personne, ce qui est aussi une façon de se sentir relié aux autres de manière plus générale, intégré dans l’humanité. Les autres appartenaient à cet univers dans lequel ils pouvaient se connecter en tant que corps désirants, mais moi, j’en étais exclue. C’était d’autant plus pesant que je ne confiais à personne. J’ai toujours été très forte pour faire parler les autres, ce qui m’évitait de parler de moi. J’avais honte de ma virginité parce qu’elle marquait ma différence : je la voyais comme un handicap. Certains n’ont pas de main ou pas de pied, moi, il me manquait le bouton « amoureuse ». A 43 ans, je n’avais jamais touché ni embrassé personne, pas même un « smack ». J’étais rattrapée par la question des enfants. J’aurais pu essayer de faire un enfant seule grâce à l’insémination, mais je me disais que je serais vraiment la Vierge Marie ! Devenir mère sans avoir couché, cela risquait de me mettre encore davantage dans une position d’étrangeté, d’anormalité.
« J’AVAIS HONTE DE MA VIRGINITÉ PARCE QU’ELLE MARQUAIT MA DIFFÉRENCE : JE LA VOYAIS COMME UN HANDICAP. »
Depuis la fin de ma vingtaine, je voyais des psys et je réussissais tout de même à avancer, à prendre conscience que les choses pouvaient changer. J’ai commencé à assumer davantage et j’ai parlé de ma virginité à trois de mes amis proches qui ont été très surpris – cela ne cadrait pas du tout avec l’image qu’ils avaient de moi. Me confier à eux m’a permis de me sentir plus légère : je ne vivais plus dans le mensonge, je m’accordais enfin le droit d’être moi-même. A 45 ans, j’ai passé ma première nuit avec un homme, l’ami d’un ami que je connaissais bien et avec qui je me sentais en confiance. Nous étions tous les deux un peu perdus, moi avec ma virginité tardive, et lui dans ses difficultés avec sa femme, qui était la seule relation qu’il avait connue dans sa vie… Nous n’avons pas été jusqu’au bout car nous avions pas de préservatifs, mais cette nuit a été libératrice pour moi, très agréable et pas du tout flippante. Enfin, j’étais touché par quelqu’un. Enfin je me sentais vivante. La suite a été plus difficile : Fabien avait des problèmes personnels à régler et il a pris ses distances avec moi.
Quelques mois plus tard, j’ai craqué et j’ai fait un séjour de trois jours à l’hôpital Saint-Anne. Paradoxalement, ce moment de grand désespoir a été un vrai déclic et a vraiment marqué la fin d’une période. J’avais touché le fond et maintenant je ne pouvais que me relever. J’ai commencé à voir une nouvelle psychothérapeute, qui m’aidait en me donnant des défis concrets, par exemple m’inscrire sur un site de rencontres, ce que j’ai accepté au bout de quelques mois, même si cet univers me paraissait à des années-lumière de moi. Chaque rendez-vous représentait un effort immense. Avant d’y aller, j’étais malade à chaque fois. Moi qui étais déjà si peu à l’aise avec la séduction, j’ai vécu plusieurs ratages mémorables et très douloureux : l’homme qui répond au serveur qu’il n va rien prendre alors qu’il vient de s’asseoir, celui qui fait la gueule pendant notre rendez-vous et que je vois le lendemain rire aux éclats avec une autre fille, à une terrasse de café en bas de chez moi…
« C’EST IMPORTANT POUR MOI DE TÉMOIGNER AUJOURD’HUI POUR CEUX QUI SE SENTENT SEULS QUE JE L’AI ÉTÉ. »
Mais ces rencontres ont tout de même dû débloquer quelque chose en moi. En février 2020, juste avant le confinement, j’ai rencontré Olivier. On a pris un café et, au bout d’une heure, je suis partie, comme je le fais à chaque fois. Il m’en veut encore aujourd’hui de ce départ précipité ! L’après-midi, il m’a envoyé un texto pour me dire qu’il me trouvait jolie, intelligente, et qu’il souhaitait me revoir. Personne ne m’avait dit cela. Je l’avais trouvé très sympa et je me suis dit qu’avec lui j’allais pouvoir poursuivre mes expériences, l’embrasser… J’en parle un peu comme d’un challenge, mais changer, c’est un véritable travail : je sentais qu’à 46 ans il fallait que je casse quelque chose de mon comportement. Le confinement est arrivé et, avec Olivier, on a commencé à se parler sur Skype tous les jours. Très vite, je lui ai parlé de ma virginité. Il a été très surpris. Comme il me l’a avoué, la virginité à 46 ans, « on ne la lui avait encore jamais faite » ! Olivier, c’est tout l’inverse de moi : il couche avec des filles depuis qu’il a 13 ou 14 ans et, depuis son divorce, était un habitué des sites de rencontres. Je pense que finalement, ce confinement a été une chance pour nous. Le fait de pouvoir se parler au téléphone m’a tranquillisée : je savais qu’il n’allait pas me demander un rapport physique tout de suite. Un matin d’avril 2020, j’ai grillé le confinement avec une attestation bidon pour aller le retrouver chez lui. Dans le bus qui séparait mon XIVe arrondissement du Xe où il habitait, j’avais l’impression de faire un truc de dingue. J’ai traversé la Seine : j’avais attendu quarante-six ans mais, maintenant, seuls quatre kilomètres nous séparaient.
Je me dis souvent que c’est lorsque le monde s’est arrêté que j’ai commencé à vivre, peut-être parce que je n’aime rien faire comme les autres… Je n’allais pas chez lui pour discuter. Dès que je suis entrée, on s’est embrassés et cette première fois où nous avons fait l’amour a été très naturelle. Je ne me suis pas sentie godiche ni mal à l’aise, mais j’ai beaucoup saigné, au point que j’avais peur de faire une hémorragie. J’ai eu très mal aussi. Je pense que mon corps devait être blindé, un peu réfractaire… C’est peut-être aussi moins naturel pour un corps de femme de faire l’amour pour la première à 46 ans qu’à 18… La troisième ou quatrième fois où nous avons couché ensemble, j’ai eu un eczéma géant sur tout le corps, mais cela n’a pas duré. Perdre sa virginité à 46 ans, ce n’est pas rien, mais je me sens plus forte d’avoir surmonté cela. Cela m’a permis de travailler sur moi, de comprendre davantage les blessures des autres, de développer mon empathie… J’ai l’impression que cela rend mon histoire avec Olivier encore plus belle. Je ne me suis jamais vraiment intéressée aux causes de cette virginité tardive, mais plutôt aux conséquences. Par exemple, j’ai trente kilos de trop depuis l’enfance, mais je n’ai pensé que c’était à cause de cela. Je ne voulais pas me chercher d’excuses mais prendre ma vie en main. C’est important pour moi de témoigner aujourd’hui pour ceux qui se sentent seuls que je l’ai été. On parle de plus en plus des asexuels ou des abstinents qui ne font plus l’amour pendant un certain temps mais ce n’est pas la même chose car ils ont été touchés, ils savent ce que c’est un lien intime avec quelqu’un. Moi, je me sentais dans un monde à part, et lorsque je recherchais des gens comme moi, je n’en trouvais aucun, pas même sur Internet. Avant je ne parlais jamais de moi car je n’avais rien à raconter.
Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression que ma vie pourrait être un roman. La première semaine que nous avons passée ensemble avec Olivier, en août 2020, il a fait un arrêt cardiaque. Je l’ai massé pendant quinze minutes et les pompiers m’ont dit que je lui avais sauvé la vie. Il est resté deux jours dans le coma. A l’hôpital, je lui disais : « Tu ne peux pas partir maintenant alors qu’on vient de se trouver. » Le lendemain, à mon retour, il a ouvert les yeux et m’a pris la main, qu’il a serrée fort. En plus que la perte de virginité, ce début de vie commune a vraiment scellé quelque chose de fort entre nous : il sait qu’il peut compter sur moi et je sais c’est en partie pour moi qu’il est revenu.
Psychologies Magazine Août 2024
Des ressources sur la virginité tardive :
Des témoignages sur deux plateformes de podcasts : Louie Média, Entre nos lèvres.
Un forum : https://forum.virginite-tardive.fr (on est référencé !!!!)
Un roman graphique pour rire, dédramatiser, s’instruire et mieux comprendre l’imaginaire lié à la virginité féminine : Vierges, la folle histoire de la virginité d’Elise Thiébaut, illustrations d’Elléa Bird (Le Lombard. 2024)
Contrepéterie : Je meurs d'envie de caresser les puces de la faisselle